S’il fallait donner un seul conseil aux parents en ce qui concerne la timidité de leur enfant, pour moi, ce serait sans hésitation celui ci ! Il s’agit d’une attitude dans laquelle, nous parents, tombons très facilement. C’est une attitude très fréquente, très banalisée, mais qui peut être vraiment responsable d’installer la timidité chez notre enfant. Cette attitude, c’est tout simplement de dire de votre enfant qu’il est timide !
Nous allons voir 4 situations que je vous invite à éviter, pourquoi ces situations portent un préjudice à l’enfant, au niveau de sa confiance et de l’image de soi et quelles sont les meilleures attitudes à adopter ?
4 situations à éviter
Les 4 situations que je vous invite à identifier et à ne plus accepter sont les suivantes :
1. Vous dites à votre enfant qu’il est timide
2. Vous dites à quelqu’un d’autre, en présence de votre enfant, qu’il est timide
3. Vous laissez dire quelqu’un d’autre de votre enfant qu’il est timide
4. Vous laissez dire votre enfant, de lui même, qu’il est timide
Je vous propose d’explorer chacune de ces situations un peu plus dans le détail.
La première situation, c’est vous, parents, qui faites entendre à votre enfant qu’il est timide. Quelle que soit la manière, peu importent les mots.
Imaginez une mère qui s’adresse à ses deux fils : « Bon, les enfants j’ai besoin d’aide, il me faut un carton de lait et quelqu’un doit faire la vaisselle. Thomas, tu fais la vaisselle et Mathias, tu vas chercher le carton de lait à l’épicerie ! Tu sais bien que Thomas est beaucoup trop timide et c’est toujours un problème pour lui. »
Dans cette scénette en apparence anodine, un des deux enfants est clairement étiqueté timide. Comme un fait avéré contre lequel on ne discute plus. Le fait de comparer les deux frères renforce encore l’idée que la timidité est perçue comme le propre de l’identité de l’un et pas de l’autre. Quelle image de soi le petit frère va-t-il pouvoir développer dans ce climat ? Ne pensez-vous pas comme moi qu’il serait plus constructif d’inviter Thomas à aller à l’épicerie à dépasser sa peur, et le féliciter à son retour.
Deuxième situation à éviter, c’est de dire à une autre personne, en présence de votre enfant, qu’il est timide.
Une vieille tante s’adresse à un jeune garçon :
– « Bonjour Thomas, je suis la cousine de ta maman. En fait, je suis la petite fille du mari de la soeur de ta maman. Je t’ai connu quand tu étais tout petit, mais tu ne t’en souviens certainement pas. Comment vas-tu mon garçon ? Tu travailles bien à l’école ? »
L’enfant reste une seconde dans un silence.
– « Et bien, tu as avalé ta langue ? »
La mère intervient :
– « Tu sais, Thomas est un grand timide, il est fort impressionné par les gens. »
Mettons-nous à la place de l’enfant. Il croise quelqu’un qui dit le connaître, mais que lui ne connaît pas vraiment. Quelqu’un de sa famille, mais qu’il a du mal à situer. Quelqu’un qui lui parle de but en blanc de l’école alors que l’école n’est pas forcément la passion de Thomas. L’enfant cherche une réponse adaptée, dans un répertoire comportemental en pleine construction. Les pensées trottent dans sa tête, il a un silence, peut-être une mimique expressive, et hop!, du tac au tac, on le traite de timide ! C’est rude, non ?
Le problème, suite à cette interaction, c’est que l’enfant pourra penser qu’il n’est pas capable de fournir les réponses adaptées à ce qu’attendent les grandes personnes dans ce type de situation. La prochaine fois qu’il croisera un inconnu, son inconscient risque de revenir à la charge et sa petite voix intérieure pourrait l’alerter en disant : « Attention !, la dernière fois que tu as vécu cette situation, ton comportement n’était pas adapté, alors, cette fois-ci, tiens-toi bien ! »
Qu’est-ce qui va se passer ? L’enfant a des chances d’être encore plus intimidé ! La première fois, il cherchait juste à trouver un comportement adapté, cette fois-ci, il commence déjà à penser de lui-même qu’il est inadapté. Il risque d’avoir une appréhension et se sentir d’autant plus paralysé.
Une autre possibilité est que l’enfant développe ce qu’on appelle une suradaptation. C’est à dire qu’il fournisse une réponse d’enfant « docile », comme on dit en analyse transactionnelle. Du genre : « Oui ça va bien à l’école, j’ai reçu un 9/10 en français et un 8/10 en maths ». Et sa mère qui rajoute : « Oui, nous avons de la chance, Thomas est le premier de sa classe ».
Dans ce cas, l’enfant c’est suradapté et fournit au quart de tour la réponse attendue par le parent. Peut-être que cet enfant deviendra, à 30 ans, avocat ou médecin (ou boulanger peu importe)… une profession qui n’est pas une vocation, mais qui a de la valeur dans l’esprit de ses parents. Peut-être qu’à 40 ans, il fera une énorme crise existentielle parce que la vie qu’il mène ne lui correspond pas, au fond du fond.
Tiens, c’est marrant dans la région où on est, l’eau a creusé des sillons dans la terre (voir la vidéo ci-dessus). Voilà un sillon ! Il est de la taille d’une main. Celui-ci est déjà plus gros. Ici, nous avons un sillon qui fait déjà quasiment un mètre de profondeur.
Vous devez vous dire : « Mais il est fou celui-là avec ses sillons ! ». Mais en réalité, cette notion de sillon est totalement en rapport avec notre propos. Et cela, vous le comprendrez à la fin 😉
Troisième situation, c’est quelqu’un d’autre qui, devant votre enfant, dit qu’il est timide.
Qui ne dit mot consent, dit le proverbe. Donc, dans ces cas-là, vous avez le devoir de réagir. Par exemple, en disant : « Mais non! Thomas n’est pas du tout timide. Là, il vous rencontre pour la première fois, il est un peu intimidé, c’est normal, vous le seriez à sa place, mais autrement Thomas n’est pas du tout timide, il a du caractère et il adore la compagnie ! »
En disant cela, vous prenez la défense de votre enfant avec justesse, en distinguant clairement l’intimidation, qui est ponctuelle et tout à fait normale de l’étiquette de timidité, qui elle est très enfermante.
Quatrième situation, c’est votre enfant qui dit de lui-même qu’il est timide.
S’il se dit timide, c’est qu’il a développé cette croyance sur lui-même, une certaine image de lui-même, voire une stratégie de docilité qu’il aurait petit à petit développé et intégré. En général, il s’agit d’un enfant plus grand, peut-être un adolescent. Et là aussi, vous avez le devoir de le contredire pour lui éviter de s’enfermer dans cette auto-croyance très limitante.
Par exemple, vous pouvez lui répondre : « Mais non, Thomas, tu n’es pas du tout timide, regarde encore hier comme tu as joué avec tes amis ou comme tu as très bien parlé à notre voisin ! Non, en fait, c’est dans certaines situations que tu te sens intimidé, comme par exemple quand tu rencontres une nouvelle personne, mais ça c’est tout à fait normal, même certains adultes ressentent cela. Tu sais, être à l’aise avec les autres c’est quelque chose qui s’apprend, comme on apprend à nager ou à rouler à vélo. »
Si vous dites cela, ça change tout pour votre enfant. Tout d’un coup, son intimidation est normale, sa personnalité ne peut en aucun cas être résumée à sa timidité, et certainement pas ad vitam aeternam, et l’aisance avec les autres, c’est quelque chose qui s’apprend.
La timidité est une croyance
J’aimerais maintenant décortiquer avec vous quelle est la mécanique derrière chacune de ces situations. Ce qu’il faut savoir, c’est que la timidité est une croyance. Alors qu’est ce qu’une croyance ? Je ne me situe pas ici dans le domaine religieux, donc une croyance c’est quelque chose qu’on pense être vrai. Pas forcément la vérité, mais quelque chose qu’on tient pour vrai. La timidité, c’est cette croyance que nous ne serons pas capables d’avoir des interactions efficaces avec les autres, de faire bonne impression face aux autres, de nous sentir à l’aise, en pleine possession de nos moyens, parmi les autres. Donc c’est une croyance limitante qui influence notre vie à la baisse. Les timides se donnent moins de chances d’avoir la vie professionnelle, amoureuse ou sociale dont ils rêvent.
Alors d’où nous vient cette croyance ? Nous ne sommes pas timides de naissance, c’est quasi une certitude. Il y a déjà eu pas mal d’études sur le sujet et on peut tout au plus affirmer que 10 à 20 % des enfants sont un peu plus sensibles ou impressionnables que d’autres. Mais aucun gène de la timidité n’a été identifié à proprement parler et on sait parfaitement que n’importe quelle personne qui en fait sérieusement la démarche peut parvenir à se débarrasser de la timidité, qui n’est donc absolument pas un déterminisme.
Alors d’où nous vient cette croyance ? Et bien elle provient justement des interactions que l’enfant va vivre et de l’interprétation qu’il va en donner soit par lui même soit via le prisme des parents.
Prenons les choses sous un autre angle… Qu’est ce que vous faites lorsque vous apprenez à un enfant à nager ? Lorsqu’il prend ses premières tasse, qu’il est impressionné de se lâcher complètement dans l’eau. Vous l’encouragez, vous le soutenez, vous le lâcher progressivement. Vous l’encouragez en lui disant que tout le monde peut apprendre à nager et que ça va aller !
Et bien je vous invite à faire exactement la même chose avec la timidité ! Laissez le temps à votre enfant de prendre ses marques, sans étiqueter son comportement sans tirer de conclusion hâtive s’il prend un petit peu l’eau.
Pourquoi les parents pointent la timidité de leur enfant ?
Pour terminer, j’aimerais bien voir avec vous pourquoi nous, parents, il nous arrive de dire de notre enfant qu’il est timide. Alors, bien sûr, il y a plusieurs scénarios.
Un premier cas de figure, c’est tout simplement lorsque nous sommes émerveillés de l’émotion de notre enfant Du genre : « Oh, regarde, il rougit, c’est mignon ! Il est timide, c’est tout chouchou ! ». L’enfant qui entend cela va se rendre compte que son émotion est identifiée et que ça ne déplaît pas, qu’au contraire, on trouve ça mignon. Il se peut qu’un tel enfant développe ce que j’appelle une timidité de complaisance, c’est à dire un comportement gentil, inoffensif, plutôt que vrai et affirmé, mais ce n’est pas la meilleure des stratégies à long terme pour faire le bonheur de cet enfant.
Donc je vous recommande à la fois de ne pas décrier l’intimidation, mais pas non plus la valoriser ! Je vous invite plutôt à discuter avec votre enfant pour savoir d’où vient cette intimidation.
Un autre cas de figure, c’est la projection. C’est le parent qui pointe la timidité de l’enfant pour faire face à sa propre gêne.
Imaginez cette scène au restaurant :
Le serveur arrive…
– « Alors, qu’est ce que va manger ce jeune homme ? »
– « Euh… »
La mère interrompt rapidement l’hésitation de l’enfant :
– « Mais allez, Arthur, tu vois bien que Monsieur attend… excusez-le, il est timide ! »
Dans ce cas, c’est le parent qui se sent gêné d’un silence ou du manque de répondant de son enfant et qui se sent comme obligé de le dénoncer. Mais le stress est du côté du parent parce que dites-vous bien que, dans la majorité des cas, votre interlocuteur, lui, cela ne lui pose aucun souci que votre enfant soit momentanément dans l’hésitation.
Donc je vous invite à traiter son hésitation avec douceur et protection. Par exemple, vous pourriez dire quelque chose du genre : « Ecoutez Monsieur, je vois qu’Arthur hésite toujours, est-ce que vous pourriez repasser dans cinq minutes, je vous prie ? Merci ! »
Et à Arthur : « Allez, Arthur, maintenant fais ton choix tranquillement. Dis-nous ce que tu veux manger et quand le Monsieur revient, parce qu’on peut pas non plus le faire revenir trois fois, si tu n’as toujours pas choisi, et bien je te propose de prendre un menu enfant. »
En agissant de la sorte, vous protégez votre enfant, vous lui permettez de poser son action sereinement et, en même temps, vous posez une limite, une sortie de secours, pour ne pas que la situation se cristallise dans une impasse.
Donc, en résumé, les quatre situations que je vous invite à ne plus accepter :
1. Dire à votre enfant qu’il est timide
2. Dire à quelqu’un d’autre, en sa présence, qu’il est timide
3. Accepter que quelqu’un d’autre dise de lui qu’il est timide
4. Accepter qu’il dise de lui-même qu’il est timide
Et dans chacune de ces quatre situations, la clé, c’est de ne pas traiter votre enfant de timide parce qu’il est simplement intimidé ! Donc ne transformez pas une émotion par nature ponctuelle en une étiquette ou un trait de caractère très enfermant.
Alors nous revoici dans ces fameux sillons (voir la vidéo ci-dessus), sauf que celui-ci est juste énorme. Là il y a un bon mètre en-dessous de moi. Dans un tel sillon, l’eau va s’engouffrer sans réfléchir. Elle est déjà passée ici des dizaines de fois. Si, ce soir ou demain, il pleut, l’eau ne va pas réfléchir, elle va emprunter le chemin qu’elle connaît et qui est le plus évident pour elle.
Comment déprogrammer la timidité
Vous savez, notre cerveau humain fonctionne un peu de cette manière. Nous avons dans le cerveau ce qu’on appelle des sillons neuronaux. On utilise ce terme en neurosciences. Les neurosciences, c’est la science du cerveau, qui s’est énormément développée ces dix dernières années. Des sillons neuronaux, ce sont un peu comme des chemins qu’emprunte notre cerveau, conscient, mais surtout inconscient, qui va établir des connexions, notamment entre une émotion, une croyance et, derrière, un comportement.
Vous voyez tout de suite où je veux en venir… lorsque vous dites de votre enfant qu’il est timide, c’est un peu comme si vous creusiez un petit sillon. Si vous le dites 3 fois, 5 fois, le sillon se creuse davantage. Si quelqu’un d’autre relaie cette même croyance, votre enfant risque de terminer avec un sillon comme celui-ci, bien creusé, et qui va l’enfermer dans un certain comportement.
Je vous ai dit tout à l’heure qu’on peut toujours remplacer une croyance par une autre croyance. Simplement, plus cette croyance est installée, plus elle a creusé son lit, plus ça va demander de l’énergie pour la déconstruire et reconstruire autre chose à la place. Mais c’est ce que je vous invite à faire avec votre enfant dès que possible : creuser un sillon alternatif pour remplacer la croyance limitante (« je suis timide et pour la vie ») par une autre croyance (une croyance que j’appelle une croyance « ressource »), à savoir que l’intimidation, c’est tout à fait normal et que l’aisance avec les autres, c’est quelque chose qui se travaille, comme on apprend à rouler à vélo, comme on apprend à skier la première fois. Lorsque vous vous retrouvez face à une forte pente en montagne, vous n’êtes pas forcément tout de suite à l’aise. Vous devez travailler un peu votre technique, votre peur, pour, petit à petit, faire des pistes bleues, des pistes rouges, des pistes noires. Vous savez, on n’est pas programmé pour donner des conférences du jour au lendemain
Crédits
Illustration crayonnées : Eliza Canivet
Musiques : Coolcavemen – Jérémiades, Jaunter – Reset, Yokandesh – Amizade, Dazie Mae – Sofa
Votre commentaire